LANDING ZONE :: 2013-2015
Editions Photographiques novembre 2015, ARP2 EDITIONS, Bruxelles
176 pages, 78 photographies, format fermé 177x248
Couverture : rigide, toile annual, encre argenté
intérieur : papier munken Lynx 150 et 90 g/m2, encre UV
Une base militaire en France, ancienne base de l’Otan.
Robert Smithson a réalisé Hôtel Palenque, une série de photographie, autour d’un site qu’il qualifie de non-architecture, perpétuellement en construction et en déconstruction. Ce travail a constitué un point de départ pour Landing Zone.
Le site militaire que j’ai investi est un lieu paradoxal ou cohabitent vétustés et technologie de pointe dans un jeu de camouflage dont l’armée est passée maitre.
Il préfigure l’arrivée prochaine de drones et définie les questionnements d’une guerre moderne.
Son investigation constitue ce que j’intitule : L’Expérience du Lieu.
J’aborde la photographie comme un moyen de documenter le réel, souvent rataché à un territoire et à ses occupants. En cela, ma photographie semble se rapprocher d’un style documentaire.
Ce qui m’intéresse à travers cette démarche, c’est la possibilité de jouer du réel en utilisant des codes qui s’apparentent à la réalité. L’approche scientifique froide et neutre donne l’illusion d’une fidélité au réel, une authentification de fait.
L’approche documentaire m’intéresse surtout parce qu’elle me permet d’effacer le photographe en tant que tel et d’instaurer une méthode de prise de vue la plus neutre et la plus objective possible : prise de vue sur trépied, rigueur dans le cadre, point de vue neutre, focale sans déformation, lumière douce. La photographie devient un document, un témoignage qui s’inscrit dans l’histoire et qui crée une relation au réel particulière.
La photographie documentaire permet également de redistribuer les cartes du réel en proposant une relecture des stéréotypes et des codes narratifs. L’absence, le vide, des moments suspendus sans action que proposent mes photographies, provoquent une tension narrative qui s’apparente à ce que l’on nomme l’inquiétante étrangeté du quotidien.
Moments suspendus, périodes de latence, absences, espaces neutres et froids, hangars vides, Il s’est opéré une forme de glissement d’intention. La réalité objective est devenue apparente réalité, puis impression de fiction.
L’angle sous lequel m’est apparu l’univers militaire a pris des allures mythologiques portant les hommes et les femmes que je rencontrai au rang d’héros modernes.
L’auteur a investi en 2013 ce haut lieu stratégique militaire français, où les différentes unités partent régulièrement en missions à travers le monde.
Texte de Michel Poivert
SEBASTIEN LACROIX,
Une avant-garde sans combat
A-t-on oublié que la métaphore la plus célèbre de l’histoire de l’art est militaire ? «Avant-garde» désigne en effet un détachement de combat en avant des troupes, capable d’ouvrir une voie, de renseigner, de favoriser une opération. L’expression se généralise dans l’historiographie de l’art à partir des années 1960, pour caractériser tout groupe d’artistes préoccupés dès l’aube du XXe siècle à combattre les canons officiels, et dont les méthodes se caractérisent par l’usage de textes et de mots d’ordre à la tonalité révolutionnaire (manifestes), la tenue d’expositions défrayant la chronique - ouvrant la voie à un nouveau goût brisant celui du Bourgeois.
Mais que vaut aujourd’hui cette métaphore martiale ? Et si, en la prenant au pieds de la lettre, un travail documentaire sur un équipement militaire aux prises avec l’évolution de l’art de la guerre permettait de voir, par un jeu de métaphore réfléchie, où nous en sommes de cette mythologie ? Le livre de Sébastien Lacroix documente par l’enquête ce qu’est devenu un lieu militaire de pointe, sa métamorphose et sa vétusté, il raconte à sa manière ce que l’idée d’avant-garde est elle-même devenue : un monument du passé.
Le livre se présente comme une sorte de manuel avec plans, figures, objets, espace, comme s’il s’agissait de présenter un développement d’actions à suivre à partir de repérages, d’identifications, de calculs des points de vue et des proportions : bâtiments, équipements, postures, phases, circulations... mais quelle action se prépare alors ? Celle d’une disparition. Le livre est aussi un manuel de survie.
C’est le tempo choisi dans ce travail - qui prend la forme documentaire à bras-le-corps -, car si la base militaire sise dans la Meuse existe bien, si son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale, ses affectations et ses réhabilitations en font aujourd’hui encore un site stratégique d’hélicoptères de combat, c’est une fable que choisit de nous conter Sébastien Lacroix. Et c’est toute la force du choix de la forme documentaire que de nous proposer ce pacte : la rhétorique de la persuasion que contient toute description minutieuse nous engage paradoxalement dans une forme de fiction. Ici donc, tout commence par une manière de typologie des équipements modernes, avec, au premier rang les fondements du nouvel art de la guerre : la simulation. Celle-ci permet de s’entrainer, d’apprendre, le simulateur a cette caractéristique d’initier la conduite des opérations techniques sur la base de la fiction. Là encore, étrange paradoxe : le plus cruel des mondes est donné sur le mode du jeu. Mais les équipements de simulation, avec leur aspect déjà «vintage» de film de science-fiction, portent en eux le gène de la grande mutation de l’art de la guerre : l’héroïsme de la dissimulation. Car en ce lieu que Sébastien Lacroix visite en même temps qu’il le bâtit pour son récit, c’est la stratégie des drones qui a commencé de supplanter celle des vols de combats embarqués. Le simulateur accouche du dissimulateur.
C’est donc là, en ce lieu clôt, que l’art de la guerre a trouvé sa forme ultime : des postes de pilotages aménagés en jeux de combats pour commander loin d’ici les actions meurtrières. Clinique, la description du photographe le sera jusqu’au bout, car le choix de la dissimulation révèle le caractère éminemment physique du lieu même de la base militaire, révélé en creux pourrait-on dire dans sa perte de valeur d’usage, avec ces engins que l’on remise, ces pilotes que l’on embaume, ces hangars que l’on vide, ces zones que l’on abandonne : ici, règne la ruine horizontale.
Les pistes, ces surfaces présentant les dessins a demi effacés des traits régulateurs sont devenus une sorte de carnet de dessin oublié, contenant les exercices géométriques de quelques élèves se rêvant en artistes modernes. Des surfaces usées qui sont les fresques fonctionnalistes des rêves d’envols et de circulations - voilà le lit défait des engins aériens, les signes oubliés d’une civilisation qui maîtrisait les airs en y propulsant les hommes; aujourd’hui, quels monuments aux sols sont nécessaires à l’atterrissage des drones ? À cette échelle de temps et d’espace, les pistes sont devenues les temples de jadis, les voies romaines oubliées : une vision de ce que nous serons aux yeux des archéologues du futur.
C’est sa singularité : la photographie fait apparaître de façon privilégiée ce qui tend a disparaître. Et la fiction de décadence donne à l’art cette possibilité d’ériger en forme expressive le déclin du monde. La ruine est la figure de cette rétrospection, de cette façon de documenter à l’envers l’ordre du monde, d’imposer à la flèche du temps le contre-ordre d’un retour où naît le charme du retrait. L’avant-garde s’est toujours posée la question de sa survie tout en sachant que celle-ci ne pourrait s’effectuer qu’en opérant le sacrifice de son propre corps. Dans les arts, l’avant-garde est un pari sur l’avenir au son des chants révolutionnaires. Dans les armes, l’avant-garde se dérobe pour laisser place aux troupes.
Qu’est devenue cette rhétorique du au-devant ? lorsque le retrait s’affirme comme le mode d’action à distance ? Ce chant de l’avant-garde est devant nous dans la forme ruinée des sites, et celui que nous fait parcourir Sébastien Lacroix est le tombeau de l’avant-garde : le temps inversé de l’au-devant. Le rêve d’un au-delà.







